Archives de catégorie : Théâtre

culture lutte

La population dit clairement son soutien à la culture et au social

Déclaration du 5 juin 2x non aux coupes budgétaires en Ville de Genève

Nous somme soulagés de la décision du peuple qui a refusé les coupes dans les budgets sociaux et culturels de la ville. La population a compris la brutalité de ces coupes, leurs conséquences dévastatrices sur un secteur déjà fragile, et l’erreur d’appréciation des politiques qui refusent de voir l’impact positif que les arts et la culture amènent sur les plans sociaux, économiques et touristiques pour une région.

Cette campagne nous a amené à partager de manière explicite avec la population ce que nous partagions déjà de façon implicite. Notre travail artistique est fondé sur notre capacité d’inventer, d’innover, de fabriquer et de produire des objets et des œuvres qui n’existent pas encore, mais aussi de diffuser ou de renouveler ce qui a été inventé par d’autres durant les siècles passés. Ce travail, ces productions se partagent avec la population dans les salles de concert, les festivals, les cinémas, les théâtres, les espaces d’exposition, les librairies et dans l’espace urbain.

Les échanges que nous avons eu avec la population durant ces quelques mois ont révélé que la politique politicienne menée notamment sur les questions budgétaires ne défend plus de valeurs que l’on peut partager ou au contraire combattre. La politique politicienne règle des comptes à l’interne, en vase clos, prenant en otage des citoyens souvent désabusés. Nous avons tenté, par nos actions, de remobiliser ces citoyens à exercer leurs droits démocratiques.

Nous n’avons rien fait d’autre que ce que nous faisons quotidiennement : questionner, proposer, transformer.
C’est notre force, c’est notre contribution au monde et la population a compris qu’au delà des goûts et des couleurs, cette vivacité et cette diversité de pensée est essentielle. Unis, nous ne nous sommes pas laissé intimider, avons affirmé et affirmons aujourd’hui la légitimité de notre travail, de notre présence, de notre diversité qui répondent aux besoins de la population.

  • Nous saluons la formidable mobilisation des acteurs culturels de Genève. Cependant, nous ne faisons pas d’illusions. Nous devrons continuer à lutter pour défendre et valoriser la diversité et la qualité du tissu artistique, culturel et social. D’autres projets menacent de façon encore plus radicale l’équilibre entre les soutiens publics et privés, les structures, institutions, artistes et acteurs culturels et la population :
    Par exemple :
  • le désenchevêtrement, qui va accentuer les coupes opérées déjà au niveau du canton.
  • la LRDBHD, loi régissant les lieux culturels et les débits de boissons, qui est totalement inadaptée au mode de gestion des infrastructures culturelles et va péjorer la qualité des services et les liens que nous tissons auprès du public.
  • De nouvelles contraintes administratives et financières inopérantes, qui coûtent plus cher qu’elles ne soutiennent, et alourdissent le travail de tout un secteur d’activité.

Genève est une ville internationale, attachée à la démocratie, fortement marquée par l’humanisme, la pensée ainsi que par la diversité et la qualité de sa production artistique. Cette diversité et cette qualité sont le fruit d’une subtile alchimie entre la population, le terrain de la création et les soutiens publics bâtis sur plusieurs générations.
Nous nous réjouissons du signal positif que donne cette votation à toutes les personnes qui, au quotidien, s’engagent pour la culture, la création, et la diffusion des arts dans notre société. Nous espérons que ce signal sera entendu par les élu-e-s qui reprendront peut-être enfin le dialogue rompu ces derniers mois et les aidera à tenir compte de nos spécificités et des besoins d’une société ouverte et dynamique.

Merci à tout ceux qui ont contribué à ce résultat fort!
l’équipe de la culture lutte

site internet la culture lutte

LA CULTURE LUTTE – Manifeste

Artistes et acteurs culturels,

Longtemps menacée, la culture est aujourd’hui attaquée frontalement et doit être défendue. Ce sont non seulement nos métiers et nos lieux de travail qui sont en sursis, mais plus largement la place indispensable de la culture dans notre société. Il s’agit d’être forts, solidaires et montrer que nous ne nous laisserons pas faire.

La majorité du Grand Conseil n’a plus qu’un seul objectif, couper dans les services publics, la protection sociale et l’emploi.  Elle  a réussi  à imposer un cadre comptable et marchand qui réduit l’ensemble des activités orientées vers l’éducation, le soin, le travail critique et l’ouverture créative à la seule question du coût et de la rentabilité. Ainsi, depuis plusieurs années, toutes les baisses d’impôts n’ont eu pour but que d’amputer l’État de ses tâches redistributives et de ses responsabilités envers les plus faibles, les personnes âgées, les travailleurs précaires, les handicapés et, plus fondamentalement encore, le maintien d’une société véritablement plurielle.

C’est dans ce contexte que les artistes et acteurs culturels sont aujourd’hui en danger. Les lieux et structures subventionnés ont reçu un courrier leur annonçant une coupe importante de leur subvention, exigeant une diminution de leur charge salariale alors même que les acteurs culturels venaient d’exiger davantage d’aide pour leur prévoyance sociale. Moins visibles et plus fragiles, les artistes au bénéfice de financements ponctuels sont aujourd’hui également dans le collimateur des pouvoirs publics qui savent la facilité de couper là où personne n’est en mesure de réagir avec force.

C’est encore la culture, dans son essence même, qui est menacée lorsque le Conseil d’Etat s’en prend à nos manières de faire, de nous organiser et de nous auto-financer en s’attaquant, à l’instar de l’Usine, à nos buvettes au prétexte du respect d’une loi inadaptée et aseptisante.

Sans mobilisation massive des milieux culturels, aux côtés des fonctionnaires, des maçons et d’une population qui refuse de voir la société dans laquelle nous vivons réduite à des questions de rentabilité et de sécurité, c’est bien davantage que nos subventions que nous allons perdre!

Nous comptons sur vous. Soyons forts, soyons bruyants!

Mouvement des artistes et acteurs culturels à Genève

www.laculturelutte.ch

La Maladie de la famille M – revue de presse

LA MALADIE DE LA FAMILLE M. de Fausto Paravidino
un projet des Cie Superprod – Cie Jeanne Föhn – Cie Angledange
Le langage, reflet du drame – (…) Une parole tantôt précipitée, affolée. Tantôt stoppée net, hébétée. Andrea Novicov a choisi cette alternance de débit entre le trop et le pas assez pour raconter La maladie de la famille M. Le chaos des mots dans une maisonnée, un père âgé et ses trois enfants, qui se chamaillent sans cesse faute d’un vrai projet. Le choix, judicieux, produit une musique de l’agacement qui reflète parfaitement les effets de la frustration sur ce clan. (…) Le drame est signalé par le langage syncopé, il n’est pas vécu au premier degré. Le spectacle gagne en légèreté. ———– Marie-Pierre Genecand – Le Temps
INTRODUCING SOREL APPAREL
Y a t-il un médecin dans la pièce? – Le Théâtre de l’Orangerie présente en première suisse «La Maladie de la famille M., de l’italien Fausto Paravidino. Une réussite. (…) Le corps des acteurs est ainsi plus engagé et le regard du spectateur davantage sollicité; tantôt celui-ci considère avec stupéfaction ces personnages tétanisés par la marche du monde qui les laisse poussiéreux sur le bord de la route, tantôt il se reconnaît dans l’un ou l’autre, s’en accommode ou s’en révolte. A chacun de décider quelle direction il prendra par la suite. (…) Le spectacle, d’une belle élégance formelle, est interprété par six très bons comédiens. ——– Jorge Gaillardo Muñoz – Le Courrier
INTRODUCING SOREL APPAREL
Troubles de communication – Tragi-comédie contemporaine avec ces personnages drôles bien qu’un peu abîmés, La maladie de la famille M. impressionne par la subtilité de son texte. Les compagnies Superprod, Jeanne Föhn et Angledange en proposent une délicate et rafraîchissante mise en scène.(…) Au contraire, loin de l’analyse scientifique d’un trouble psychologique, le spectacle adopte ici une forte dimension esthétique. (…) Les spectateurs retrouvent cette même impression ici grâce aux savants jeux de lumière qui subliment les silhouettes par un éclairage provenant soit du sol, soit du plafond. En découle une atmosphère presque lynchienne où les cadrages autant que les silences soulignent les déséquilibres dont souffrent les protagonistes. (…) Il est fortement recommandé, en guise de prévention ou juste par plaisir cathartique, de se frotter le temps d’une heure et demie à cette gêne, se nourrissant de doutes, de colère, de mutisme, de désarroi et qui a envahi l’attachante famille M. ———- Deborath Strebel – L’Atelier Critique
INTRODUCING SOREL APPAREL
L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté : http://www.arche-editeur.comTraduit de l’italien: Caroline Michel

La Maladie de la famille M. – Article/le Temps -21 juillet

Théâtremardi 21 juillet 2015

Le langage, reflet du drame

En vitrine, Claude Thébert joue le père, Céline Nidegger la fille amère. Les répliques fusent, s’emballent, puis cessent subitement. (Marc Vanappelghem)

Andrea Novicov monte «La Maladie de la famille M.», au Théâtre de l’Orangerie, à Genève. Et montre à travers un langage syncopé les dysfonctionnements du clan

Une parole tantôt précipitée, affolée. Tantôt stoppée net, hébétée. Andrea Novicov a choisi cette alternance de débit entre le trop et le pas assez pour raconter La maladie de la famille M. au Théâtre de l’Orangerie, à Genève. Le chaos des mots dans une maisonnée, un père âgé et ses trois enfants, qui se chamaillent sans cesse faute d’un vrai projet. Le choix, judicieux, produit une musique de l’agacement qui reflète parfaitement les effets de la frustration sur ce clan.

Lorsque Fausto Paravidino a créé cette pièce en français en 2011, il a proposé une mise en scène naturaliste. C’est que, selon cet auteur italien âgé de 39 ans, le théâtre doit être «petit, délicat, révélateur de l’âme humaine». Amateur de formes innovantes, Andrea Novicov pense autrement. Pour lui, le théâtre n’est passionnant que s’il se mélange avec d’autres expressions, comme les arts plastiques, le cinéma ou la danse. (LT du 13.07.2015)

A l’Orangerie, il n’y a ni danse, ni cinéma. Mais une vitrine qui emprunte aux arts plastiques. Au milieu d’une scène recouverte de neige, la maison de toutes les tensions est figurée par quatre montants métalliques dressés aux extrémités d’un plateau cubique. Au centre, Claude Thébert incarne un père décomplexé et plutôt réjoui dans sa rumination grabataire. A ses côtés, Marta (Céline Nidegger), nettement moins légère, croise le fer. Avec son père, mais aussi avec sa sœur (Aline Papin) et son frère (Pierre-Antoine Dubey). Au micro souvent, polluées par des klaxons stridents et des sonneries de téléphone (Andrès Garcia, au son), les répliques fusent, mordent, puis cessent subitement. Comme si les protagonistes réalisaient tout à coup la vanité de toute parole…

Les fiancés ne sont pas atteints par ces crises de lucidité. Fulvio (Bastien Semenzato) et Fabrizio (Ludovic Chazaud) aiment Maria, et leurs assauts anarchiques, leur besoin irrépressible de s’exprimer, provoquent un épisode digne de Feydeau. Etrange incise dans cette chronique familiale engluée dans la tristesse et la banalité. Novicov s’en inspire. Avec lui, le drame est signalé par le langage syncopé, il n’est pas vécu au premier degré. Le spectacle gagne en légèreté.

La Maladie de la famille M., jusqu’au 25 juillet, Théâtre de l’Orangerie, Genève.
Tél. 022 700 93 63. www.theatreorangerie.ch

La Maladie de la famille M. – Article/le Courrier – 16 juillet

Y a t-il un médecin dans la pièce?

JEUDI 16 JUILLET 2015

GENEVE • Le Théâtre de l’Orangerie présente en première suisse «La Maladie de la famille M», de l’Italien Fausto Paravidino. Une réussite.

Six excellents comédiens interpètent cette famille qui souffre de mille bobos modernes… DR

Ils déambulent dans la pénombre du plateau quand les spectateurs arrivent dans la salle; ils le hanteraient encore à leur départ si le rituel des applaudissements et des saluts ne les autorisaient à quitter leur rôle pour retrouver le chemin des coulisses. Les personnages de ­­­La Maladie de la famille M, présentée en création au Théâtre de l’Orangerie, sont des âmes perdues dans un labyrinthe dont ils cherchent l’issue. Fausto Paravidino, un prodige du théâtre italien contemporain, leur a écrit des dialogues d’une banalité à pleurer, qu’ils s’échangent sur le ton du conflit à jamais irrésolu. Ils souffrent d’une «maladie» moderne, alimentée de bobos qui se superposent par couches; une maladie jamais nommée, qui apparaîtra étrangement familière à tout un chacun.

Le projet de monter cette pièce du dramaturge italien vient des comédiens Céline Nidegger et Bastien Semenzato, qui ont invité le metteur en scène Andrea Novicov et leurs pairs Ludovic Chazaud et Aline Papin à travailler une version plutôt libre du texte d’origine. Pour mieux souligner la dérive sans remède des personnages de Paravidino, l’équipe de création a supprimé le seul rôle qui leur tient la main (et celle des spectateurs); un «bon docteur» qui ressemble davantage à un curé condescendant qu’à un médecin. Le choix s’avère heureux tant les réflexions fatalistes du médecin tendaient à écraser lourdement les histoires de ses propres patients. Le corps des acteurs est ainsi plus engagé et le regard du spectateur davantage sollicité; tantôt celui-ci considère avec stupéfaction ces personnages tétanisés par la marche du monde qui les laisse poussiéreux sur le bord de la route, tantôt il se reconnaît dans l’un ou l’autre, s’en accommode ou s’en révolte. A chacun de décider quelle direction il prendra par la suite.
Le spectacle, d’une belle élégance formelle, est interprété par six très bons comédiens. On relèvera la retenue désespérée de Marta, une solide vieille fille jouée par Céline Nidegger, le jeu de Claude Thébert (Luigi) dans le rôle d’un père qui ne manque pas de dignité ni d’humour, et celui de Pierre-Antoine Dubey (Gianni), dont la révolte s’exprime dans un mal-être adolescent, sans issue lui non plus. Avec les lumières de Laurent Junod, le jour a le teint de la nuit, et la neige est dérisoire avec son manteau blanc déposé sur le sol souillé; la musique d’Andrès Garcia oppresse de terribles pulsations l’environnement où vivent ces cabossés de la vie.
On salue aussi l’économie du décor, composé d’un simple cube ouvert aux quatre vents pour figurer les scènes d’intérieur, et de quelques petits éléments accessoires: un trophée pour rappeler quelque gloire passée et un tableau suspendu au plafond, où l’on identifie vaguement des figures portant un drapeau rouge –  symbole (révolu?) du progrès et de l’optimisme. Le propos bouscule le doux farniente estival? Peut-être, mais convenons que la légèreté de saison n’est jamais qu’un répit factice. I

Au Théâtre de l’Orangerie, Genève, jusqu’au 25 juillet.
Rés: 022 700 93 63, www.theatreorangerie.ch

Jorge Gajardo MuñozPostez

La Maladie de la famille M. – Article/le Temps -13 juillet

Scène lundi 13 juillet 2015

Fausto Paravidino, ou l’Italie en manque de mots

Dans «La Maladie de la famille M.», un père et ses enfants sombrent dans les non-dits. Dehors, il neige. (L’Orangerie)

Dès mardi, au Théâtre de l’Orangerie, à Genève, Andrea Novicov met en scène «La Maladie de la famille M.» de Fausto Paravidino. Ex-directeur du TPR, le metteur en scène exprime son idée du théâtre

Un père et ses trois enfants. Un vieux monsieur, veuf, perdu, usé, qui regarde son fils et ses deux filles s’ennuyer. De travail, il n’est jamais question dans La Maladie de la famille M., pièce de l’Italien Fausto Paravidino, 39 ans et beaucoup de talent, qui cerne parfaitement le désarroi de ces provinces du sud de l’Europe où l’emploi n’est plus une évidence. Mais, dans ce texte de 2002, le mal est plus profond. La mère, épuisée, s’est suicidée et son absence pèse sur le clan comme une fatalité. Situation bien sombre pour un spectacle d’été? C’est compter sans la patte d’Andrea Novicov, metteur en scène russo-italien installé en Suisse depuis vingt ans, qui a démontré sa capacité à insuffler de l’étrangeté et de la légèreté dans les partitions les plus chargées.

Au Théâtre de l’Orangerie, à Genève, les excellents Claude Thébert, Céline Nidegger, Bastien Semenzato, Pierre-Antoine Dubey, Aline Papin et Ludovic Chazaud s’apprêtent à raconter un malaise, celui d’une Italie qui a troqué son sens du débat politique contre une fascination pour la publicité et qui n’a plus les mots pour dire ses maux. Entretien.

Le Temps: Ce spectacle est coproduit par trois compagnies, Superprod composée par Céline Nidegger et Bastien Semenzato, qui est à l’origine du projet, la Cie Jeanne Föhn dirigée par Ludovic Chazaud, et la vôtre. Quelles sont les vertus d’un tel procédé?

Andrea Novicov: Cette démarche peut être un bon remède à un certain immobilisme de la scène théâtrale. Bien sûr, toute forme collective de travail n’est pas sans risque, mais elle stimule l’écoute et, en tant que metteur en scène, ça me demande d’avoir plus de compétences techniques puisque, de mon côté, il n’y a pas de rencontre poétique préalable avec l’auteur. Je me place donc en tant qu’interlocuteur.

– Avec cette manière de faire, on rejoint le nouveau fonctionnement du Théâtre Le Poche, scène genevoise dirigée désormais par Mathieu Bertholet. Lui aussi contacte des metteurs en scène après que son comité de lecture a choisi les textes de la saison…

– Oui, et je trouve ce modèle très stimulant. Ce procédé, très courant à l’opéra, démystifie le rôle du «metteur en scène habité par le génie»! Il n’est pas un leader charismatique qui est traversé par le verbe, mais un artisan du plateau qui essaie mille et une propositions. On se rapproche du modèle allemand, pragmatique, professionnel, et j’aime ça, car la mise en scène, malgré mon amour pour «l’écriture poétique de plateau», est avant tout un travail d’organisation de toutes sortes de signes qui surgissent de la scène en direction de la salle.

– De Fausto Paravidino, on a vu et apprécié en Suisse romande «Gênes 01», mis en scène par Denis Maillefer. Un très bel oratorio qui montrait la panique et la violence des forces de l’ordre lors du G8 génois. Ici, le propos est nettement plus quotidien. Une difficulté?

– C’est vrai que la situation est plus simple. On assiste aux échanges assez sommaires entre des membres d’une famille qui ne «trouve pas ses mots». Les phrases sont courtes et ne racontent qu’en sous-texte l’étendue de leur malaise. Pour éviter la trivialité, on doit remplir ces vides par autre chose que du texte: un langage du corps, mais aussi des éléments sonores et visuels. Des ingrédients qui disent les émotions refoulées.

– Tout de même, ces personnages sont capables d’introspection. Ils parlent de leur gentillesse, de leur curiosité, de la profondeur de leur amour ou de leur fatigue. Ils ne sont pas si démunis…

– Oui, mais ce ne sont que des amorces de questionnement. Ce que montre Paravidino, c’est que le langage s’est tellement appauvri dans certains foyers que, passé l’amorce, les mots manquent pour affiner le ressenti et les gens restent avec un paquet de non-dits.

– Fausto Paravidino, qui a créé ce texte en français à la Comédie-Française en 2011, prône un théâtre «petit, délicat, révélateur de l’âme humaine». Et de fait, sa mise en scène était naturaliste. Vous êtes connu pour vos partis pris formels très forts et contemporains. Comment approchez-vous cette «Maladie de la famille M.»?

– Nous avons opté pour l’hyperréalisme, donc un réalisme poussé à l’extrême et dérangeant, dans le même esprit que le travail du photographe américain Gregory Crewdson. On sent dans les silences, les cadrages ou le rythme qu’il y a une étrangeté, une distorsion cachée. Avec les comédiens et l’équipe technique, nous cherchons dans cette direction.

– Les comédiens, justement. Vous ne passez pas pour être un fan de la direction d’acteur stanislavskienne, où le comédien doit entrer dans la peau de son personnage. Or, ici, vu le côté lapidaire du texte, il faut bien que les personnages préexistent à leur prise de parole…

– C’est vrai, ils doivent avoir une certaine épaisseur psychologique. Mais plutôt que creuser l’intériorité en demandant à chaque acteur d’écrire des pages sur son personnage comme le fait le Polonais Krystian Lupa, j’ai opté pour une manière plus comportementaliste, dans le style américain, qui travaille sur les métaphores physiques. On dit par exemple du personnage qu’il agit comme «un éléphant dans une bijouterie», d’un autre qu’il marche comme «quelqu’un sur qui il pleut toujours» ou comme «quelqu’un qui écrase de petits animaux», etc. Ainsi les acteurs trouvent des états – maladresse, abattement, timidité – par le corps.

– La pièce se déroule tantôt dans la maison, tantôt dehors. Comment avez-vous résolu cette diversité au niveau du décor?

– Dans l’idée d’hyperréalisme, on a imaginé une sorte de vitrine qui, comme une installation d’art contemporain, crée un effet de focus sur ses occupants. Autour de cette vitrine, c’est l’extérieur et chez nous, il neige!

– Vous avez dirigé le Théâtre populaire romand de 2008 à 2013 et, maintenant que vous êtes revenu à la mise en scène, on vous voit moins. Pourquoi?

– En premier lieu, j’ai eu besoin de lire le monde à travers les yeux de mon fils, et non plus par ceux du théâtre. C’est banalement humain, mais ça a été tellement bon! Ensuite, pendant mon absence, d’autres compagnies ont occupé la place et bénéficient des contrats de confiance délivrés par les autorités genevoises. Enfin, choisir une pièce et la monter ne me passionne plus tout à fait. A présent, j’aimerais travailler à la flamande: avoir un lieu et tenter toutes sortes d’expériences transversales entre danse, arts plastiques, théâtre et cinéma. Je trouve passionnant par exemple que le photographe Augustin Rebetez soit invité à créer à Vidy la saison prochaine. L’aventure, l’ouverture, voilà ce qui me parle. Avoir une scène sans limite et pouvoir créer une opérette lyrique post-dramatique et virtuelle, voilà ce qui me plairait!

La Maladie de la famille M.,
du 14 au 25 juillet,
Théâtre de l’Orangerie, Genève, 022 700 93 63, www.theatreorangerie.ch