La Maladie de la famille M. – Article/le Courrier – 16 juillet

Y a t-il un médecin dans la pièce?

JEUDI 16 JUILLET 2015

GENEVE • Le Théâtre de l’Orangerie présente en première suisse «La Maladie de la famille M», de l’Italien Fausto Paravidino. Une réussite.

Six excellents comédiens interpètent cette famille qui souffre de mille bobos modernes… DR

Ils déambulent dans la pénombre du plateau quand les spectateurs arrivent dans la salle; ils le hanteraient encore à leur départ si le rituel des applaudissements et des saluts ne les autorisaient à quitter leur rôle pour retrouver le chemin des coulisses. Les personnages de ­­­La Maladie de la famille M, présentée en création au Théâtre de l’Orangerie, sont des âmes perdues dans un labyrinthe dont ils cherchent l’issue. Fausto Paravidino, un prodige du théâtre italien contemporain, leur a écrit des dialogues d’une banalité à pleurer, qu’ils s’échangent sur le ton du conflit à jamais irrésolu. Ils souffrent d’une «maladie» moderne, alimentée de bobos qui se superposent par couches; une maladie jamais nommée, qui apparaîtra étrangement familière à tout un chacun.

Le projet de monter cette pièce du dramaturge italien vient des comédiens Céline Nidegger et Bastien Semenzato, qui ont invité le metteur en scène Andrea Novicov et leurs pairs Ludovic Chazaud et Aline Papin à travailler une version plutôt libre du texte d’origine. Pour mieux souligner la dérive sans remède des personnages de Paravidino, l’équipe de création a supprimé le seul rôle qui leur tient la main (et celle des spectateurs); un «bon docteur» qui ressemble davantage à un curé condescendant qu’à un médecin. Le choix s’avère heureux tant les réflexions fatalistes du médecin tendaient à écraser lourdement les histoires de ses propres patients. Le corps des acteurs est ainsi plus engagé et le regard du spectateur davantage sollicité; tantôt celui-ci considère avec stupéfaction ces personnages tétanisés par la marche du monde qui les laisse poussiéreux sur le bord de la route, tantôt il se reconnaît dans l’un ou l’autre, s’en accommode ou s’en révolte. A chacun de décider quelle direction il prendra par la suite.
Le spectacle, d’une belle élégance formelle, est interprété par six très bons comédiens. On relèvera la retenue désespérée de Marta, une solide vieille fille jouée par Céline Nidegger, le jeu de Claude Thébert (Luigi) dans le rôle d’un père qui ne manque pas de dignité ni d’humour, et celui de Pierre-Antoine Dubey (Gianni), dont la révolte s’exprime dans un mal-être adolescent, sans issue lui non plus. Avec les lumières de Laurent Junod, le jour a le teint de la nuit, et la neige est dérisoire avec son manteau blanc déposé sur le sol souillé; la musique d’Andrès Garcia oppresse de terribles pulsations l’environnement où vivent ces cabossés de la vie.
On salue aussi l’économie du décor, composé d’un simple cube ouvert aux quatre vents pour figurer les scènes d’intérieur, et de quelques petits éléments accessoires: un trophée pour rappeler quelque gloire passée et un tableau suspendu au plafond, où l’on identifie vaguement des figures portant un drapeau rouge –  symbole (révolu?) du progrès et de l’optimisme. Le propos bouscule le doux farniente estival? Peut-être, mais convenons que la légèreté de saison n’est jamais qu’un répit factice. I

Au Théâtre de l’Orangerie, Genève, jusqu’au 25 juillet.
Rés: 022 700 93 63, www.theatreorangerie.ch

Jorge Gajardo MuñozPostez